Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Polaire Ferroviaire
5 janvier 2020

La naissance du film d'atmosphère

En_Rade21.jpg (400×295)

 

En naviguant sur Calindex et sur Gallica (respectivement le temple sacré et le parc d'attraction du chercheur d'archives cinématographiques), je me suis rendu compte que dans les années 20 et 30, plusieurs articles de revues de cinéma traitent de l'atmosphère dans le cinéma. Certains parlent même de "films d'atmosphère" (109 résultats dans Gallica). Cette découverte vaut son pesant d'or, n'est-ce pas ? J'ai donc décidé d'y consacrer des billets.

Quel rapport avec le réalisme noir, les trains et les bâteaux?

Premièrement, nous sentons bien tous que ce qui prime dans ces films, c'est l'atmosphère. Deuxièmement, l'idée de milieu est très présente dans la notion de "film d'atmosphère". Il existe même un sous-genre, le "film d'atmosphère maritime", qui là nous concerne à 100%. Et même s'il n'existe pas de "film d'atmosphère ferroviaire" (à mon grand dam !), il existe celui de "film d'atmosphère populiste".

Troisièmement et finalement, nombre des films du corpus sont désignés par les critiques par cette expression, voire, dans des interviews, les cinéastes (au sens large), comme Duvivier ou Carco, revendiquent le terme.

 

Les premiers, bien entendu : la naissance du cinéma d'atmosphère

En 1925, Cinéa propose à ses lecteurs de voter pour les meilleurs films dans plusieurs genres, dont celui du film d'atmosphère. 

Le 1er janvier 2027, dans Cinéa, Edmond d'Epardaud qualifie La proie du vent de René Clair de "film d'atmosphère, tout en nuances, en grâce et en lumière". "Le réalisateur a ainsi transformé un roman d'aventures, L'Aventure amoureuse de Pierre Vignal, l'histoire originale, simple prétexte, celle d'un pilote d'avion qui atterrit dans le parc d'un château et tombe amoureux de la jeune châtelaine, en film d'atmosphère". Que veut dire le critique par là? 

C'est principalement un film qui a "des intentions psychologiques [et] techniques". Les acteurs y sont particulièrement choisis. Le décor et la photographie y sont particulièrement réussis, "composés, peints comme des tableaux", emplis de lumière et de subtilité, avec un choix de détails. Il applaudit le travail de Meerson (décorateur attitré de René Clair) et de Bruni. Et les autres aspects, narration et découpage, ne sont pas en reste. Pour lui, comme pour de nombreux critiques, maîtrise technique et finesse psychologique sont liées. C'est l'habileté et la grâce des éléments cinématographiques à montrer l'esprit des personnages qui en fait la réussite. 

Une critique de La Glu d'Henri Fescourt, dans le Cinéa du 15 mai 1927,  donne une définition très claire : "le paysage explique les êtres en raison d'une conformité native ou élective dont les moins instinctifs des hommes ne peuvent s'affranchir. La Glu pour cette raison est un vrai film d'atmosphère". Le critique parle aussi de l' "âme du paysage". Le film appuie ce propos par une ouverture par des plans sur les paysages de la Bretagne, identifiée par le critique comme mélancolique, puis un parallélisme entre ceux-ci et la psychologie des héros. Il narre, à la suite du roman éponyme de Jean Richepin dont il est adapté, une passion violente qui détruit "un être simple" (en fait, une aventurière séduit un paysan breton et le trompe, le poussant au suicide). Le critique vante aussi l'excellence des acteurs à y incarner des émotions.

Un troisième article utilise très vite après, le 1er juin 1927, l'expression "film d'atmosphère" et il apporte d'autres éléments de définition du film d'atmosphère, s'avérant même relativement complet. Il s'agit d'une revue des films d'une société de diffusion,“La Super-film présente” (p. 27-28)  Le critique, Robert Trévise, est élogieux sur En rade de Cavalcanti, le meilleur de la sélection selon lui, parlant d' “un très beau film d’atmosphère”.

Il se dispense d'en faire un résumé: mais je vous en fais part ici : on y découvre les rapports par deux êtres fragiles, une jeune serveuse de bar de marine malmenée par sa mère la tenancière et par les dockers qui fréquentent le bar, et le fils de la blanchisseuse qui rêve de partir. Un simple d'esprit s'en mêle, fasciné par la jeune fille et les bateaux en partance.

L'auteur vante l'originalité du film, apparemment décrié par la critique et le public. On lui reproche, apparemment, la minceur de son scénario. Selon lui, c'est un choix, il est "volontairement elliptique et synthétique", car ce n'est pas là que réside l'intérêt. Le public français est habitué à des bandes policières françaises en série, aux scénarios fournis en rebondissements. En rade ressemble plus à un film américain ou allemand (mais il n'en cite aucun). Or, nous verrons plus tard que la provenance étrangère de techniciens sur des films postérieurs est souvent mise en avant. Robert Trévise met d'abord en avant la peinture du milieu social des personnages, faite selon lui avec "concision" et "vigueur", le comparant avec Fièvre de Louis Delluc, le fondateur de la revue. Dans les deux cas, nous sommes dans un bar du port. Il y règne personnages hauts en couleur et ambiance chaotique, voire délétère. D'ailleurs, Louis Delluc souhaitait appeler son film La Boue. Cela constitue "un milieu", terme qui revient dans beaucoup d'articles ultérieurs traitant d'atmosphère. On peut y deviner une représentation typique des marins, voire un déterminisme du milieu (qui dépasse, nous le verrons, celui de la classe sociale). En rade est un film disparu. Par contre, il est possible de voir Fièvre. Et Delluc s'y emploie à déployer un vocabulaire cinématographique exprimant cette "Fièvre" avec "concision" et "vigueur", jouant de l'accumulation ( de personnages, de d'accessoires, de détails...) dans des plans réunis par un montage rythmé qui s'accélère. Il doit en être de même dans En rade...

 

La qualité principale d'En rade est proprement visuelle, c'est celle de "l'analyse des images". Rien que les heures en 2006 était déjà un "petit chef d'oeuvre visuel", mais ici la technique s'est améliorée. Et cette composition des images est au service de la psychologie des personnages. Ceux-ci sont très bien desservis par le jeu des acteurs, vantés dans l'article. Et on trouve parmi eux une artiste réaliste, Catherine Hessling (future muse de Jean Renoir).

 

Bien que relativement synthétique, cette critique contient en germe les différents aspects du film d'atmosphère :

- le choix d'un milieu populaire, et même souvent portuaire

- la place du déterminisme, de l'effet du milieu sur la psychologie

- la place centrale de l'esthétique cinématographique (et l'influence de l'Allemagne) au détriment du scénario

- la place des personnages et du jeu des acteurs.

Ici, nous avons parlé de l'expression "film d'atmosphère". Bien entendu, le terme "atmosphère" est employé encore plus souvent. Et il est à noter que coexistent ceux de "climat" et d' "ambiance".

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Polaire Ferroviaire
Publicité
Archives
Qui suis-je ?
Je suis Polaire Ferroviaire. J'aime les trucs qui tournent, les engrenages et les barres métalliques, donc j'aime les véhicules anciens. J'aime les trucs qui tournent, les manivelles et les pellicules, donc j'aime le cinéma. Je me concentre maintenant sur le réalisme poétique, après avoir fait d'autres trouvailles (je renonce avec douleur au film de course-poursuite !) Dans la vraie vie, je cherche des documents, et même que j'en trouve et que j'en fabrique d'autres avec ! Ce qui me permet de dénicher de belles pièces...Pour le reste, mes analyses valent ce qu'elles valent, en espérant qu'elles vous plaisent...

Si vous sous souhaitez utiliser mes trouvailles, vous pouvez, sous licence Creative Commons BY.

Bonne lecture !
Publicité