Enseignement et cinéma au Musée Galliera
Pièces exposées
Le miracle des loups est un film historique réalisé par Raymond Bernard. Il est l’adaptation cinématographique du livre du même nom écrit par Henri Dupuy-Mazuel, sorti la même année, les deux étant commandités par la Société d’édition des romans historiques filmés. Il raconte le conflit entre Louis XI et Charles le Téméraire. Deux amoureux se retrouvent déchirés dans ce conflit : Jeanne Fouquet et Robert Cottereau. La première soutient le roi. Harcelée par un prétendant éconduit, le seigneur Delau, ami du duc de Bourgogne, elle se retrouve poursuivie par ses hommes et doit son salut à des loups qui miraculeusement la protègent. Elle peut alors combattre pour le roi, devenant pour la postérité Jeanne Hachette.
Les exposants furent Job (Jacques Onfroy de Bréville), Robert Mallet-Stevens et la Société d’édition des romans historiques filmés (aussi appelée “Société des romans historiques filmés”. Cette dernière avait une grande ambition. Elle envisageait de créer une série de dix-huit romans et de films historiques de prestige sur l’histoire de France, avec une forte qualité littéraire, artistique et historique. Pour cela, un quadruple comité appuyait les équipes de films :
La Société des romans historiques filmés produisit en premier Le Miracle des loups. On peut s’étonner du choix du thème merveilleux (et peu évoqué par les sources de l’époque), mais la société s’intéressait plutôt à la reconstitution de la vie quotidienne, et à l’évocation de la grandeur de la France. La presse avait été conviée sur le tournage. Il n’était pas encore sorti, une avant-première en grande pompe était prévue en décembre 1924, à l’Opéra de Paris, avec une partition spécialement composée par Henri Rabaud, en présence du Président de la République, avant une exploitation à l’étranger. On peut envisager que la Société d’édition de films historiques filmés voyait l’Exposition de l’art dans le cinéma français comme un moyen supplémentaire de médiatiser l’entreprise. Elle inséra aussi une publicité dans le catalogue.
Décors et costumes avaient une grande importance, puisqu’ils illustraient la précision de la reconstitution historique ainsi qu’une part de l’esthétique du film. Job, Robert Mallet-Stevens, ainsi que Raymond Bernard, le réalisateur, firent de grandes recherches, dont on retrouve la trace dans leurs archives. Le comité historique, très pointilleux, retoqua de nombreuses versions des costumes et décors, retardant le tournage, tant et si bien que le réalisateur exigea un avenant à son contrat précisant une date de fin de tournage !
Job (pseudonyme de Jacques Onfroy de Bréville) s’était spécialisé dans l’illustration historique, et notamment des costumes militaires. Il avait déjà travaillé sur un album consacré à Louis XI. Néanmoins, celui-ci était une vision plaisante, et parfois humoristique.
Il avait aussi contribué à des livres pour enfants comme Guerriers et grands seigneurs (des figurines à découper). On peut retrouver dix maquettes des costumes du film sur Gallica.
Robert-Mallet Stevens conçut certains décors, aux studios Levinsky de Joinville. Il s’était exprimé au sujet des décors historiques dans les Comoedia du 9 et du 12 août 1923, tandis qu’il y travaillait, s'attardant notamment sur la reconstitution des rues de Reims. Selon lui, il fallait sculpter les décors de manière à s’adapter aux spécificités de la prise de vue cinématographique (éclairages, angles de la caméra, déformations) de façon à contrecarrer ses défauts, qui aplanissent l’image. En outre, il souhaitait reproduire les effets des œuvres de l’époque, afin que le spectateur retrouve quelque chose qui lui évoque les représentations. Il s'attarda notamment sur la reconstitution des rues de Reims, décrivant les différents plans de construction créés et la manière de travailler avec les autres professionnels de l'image, notamment les électriciens et les directeurs de la photographie.
Ainsi, pour le Moyen-Age, il s’inspirait des toiles des Primitifs. Pour Le Miracle des loups, il s’était documenté avec des enluminures, des tapisseries, des miniatures, des enluminures, sculptures mais aussi des textes qui décrivaient les évènements, comme des Chroniques. Au musée Galliera, il présenta aussi ses décors pour Les trois mousquetaires de Henri Diamant-Berger. Néanmoins, il ne s’appesantit pas sur cette dimension, discourant plutôt sur le cinéma comme vitrine des arts appliqués lors d’une conférence et sur l’architecture des salles de cinéma dans un texte du catalogue.
La scène du Jeu d'Adam plut beaucoup aux critique et au public. Et les scènes à Carcassonne et dans la plaine de Beauvais aussi, ainsi que le tournage avec les loups. Ni l’un ni l’autre ne contribuèrent au travail en décors naturels. Néanmoins, la Société envoya peut-être des photographies de ces scènes. Celle-ci envoya aussi peut-être des poses de Charles Dullin, dont le jeu d’acteur en Louis XI impressionna les critiques.
Pour en savoir plus
Sources
Bibliographie
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Il est à noter que comme l’exposition portait sur les arts décoratifs, seuls les travaux de Manuel Orazi, qui dessina les intérieurs, furent montrés. Or, les extérieurs marquèrent encore bien plus les esprits, car c’était la première fois qu’on tournait un film orientalisant dans les décors réels d’Algérie. Jusqu’ici, raconte Jacques Feyder dans ses mémoires, on tournait dans les forêts attenantes à Paris. Le producteur de L’Atlantide, Léon Gaumont, estimait ainsi que la Forêt de Fontainebleau faisait tout à fait l’affaire, et que partir sur place était une dépense somptuaire et inutile.
Manuel Orazi (1960-1934) était un artiste prolifique et éclectique. Il ne contribua pas qu’aux arts du spectacle, et ne se borna pas au genre orientalisant. Néanmoins, on peut relever son affiche pour Salomé d’Oscar Wilde ou pour Théodora de Victorien Sardou, ainsi que des maquettes de décor du Voile du bonheur, qui, lui, se passe en Chine, présentées à Galliera. Par ailleurs, il contribua à un film d’une toute autre atmosphère de Feyder, l’année suivante : Crainquebille.
Le décor du palais avait aussi frappé les esprits. Ce fut le déploiement de moyens pour créer un décor à l’abri de la chaleur et de la lumière vive qui marqua les esprits. Henri Fescourt, réalisateur prolifique de l’époque, mais aussi observateur attentif de son cinéma, décrit longuement les conditions de tournage dans La foi et les montagnes (curieusement, plus que Feyder dans Le cinéma, notre métier). Feyder avait décidé de tourner les intérieurs dans une carrière près d’ Alger, sous des tentes Bessonneau avec des lampes puissantes actionnées par moteurs d’avions. Orazi fut appelé sur place dès l’élaboration, après le tournage des extérieurs. L’ensemble fut très coûteux et les financiers craignirent de ne pas rentrer dans leurs frais, mais le grand succès du film rentabilisa l’entreprise.
Des journalistes furent conviés à la construction. Ainsi, René HERVOUIN dans son article “Comment furent réalisés les intérieurs de “L’Atlantide” dans Le Courrier cinématographique n°11 du 12 mars 1921, s’attarda longuement sur “la salle de marbre rouge”. La précision de la couleur peut surprendre, puisque nous sommes face à un film en noir et blanc (et que la couleur ne fut par rendue par teintage). Mais c’est une description qui avait vivement frappé dans le roman du même nom de Pierre Benoît dont est tiré le film. On apprend comment le sol fut conçu, recouvert de linoléum, puis entretenu pour conserver son poli et sa brillance, obligeant les acteurs à porter des chaussons de feutre et les assistants à le balayer avec de la flanelle à chaque passage.
Les critiques relevèrent aussi l’éclectisme du décor, à l’instar de René Hervouin. Néanmoins, c’était alors habituel pour l’époque, prompte à imaginer des pièces dignes de péplums; nous sommes plus proches de la rêverie orientaliste que du réalisme. En outre, Antinéa est censée être la reine de L’Atlantide, royaume grec disparu. Par ailleurs, De nos jours, Abdelkader Benali développe dans Le cinéma colonial au Maghreb l’hypothèse intéressante que le développement de ces multiples influences, toutes rattachées à l’Antiquité gréco-romaine, est un moyen de rattacher l’Algérie à un passé européen, et donc de justifier la colonisation.
Manuel Orazi fournit aussi le costume d’Antinéa, ainsi que d’autres en croquis. Quant à Marie-Louise Iribe (1894-1934), actrice Gaumont depuis 1913, interprète de Tanit-Dzerga, elle apporta des bijoux soudanais qu’elle portait pour incarner son personnage. En effet, plusieurs membres de l’époque contribuèrent à créer les éléments du film. Ils acquirent sur place des objets d’artisanat nord-africain. Et les actrices alors étaient propriétaires (et acheteuses) de leurs costumes et de leurs accessoires. En outre, l’actrice avait été sensibilisée aux arts décoratifs, et notamment à la connaissance des artefacts exotiques, par son oncle l'artiste Paul Iribe, qui les collectionnait.
Pour aller plus loin
Sources
Bibliographie
Pour exposer les costumes, le Jury commanda des mannequins à René Herbst, designer embauché par la marque Siegel. Bien entendu, les pièces arrivaient sans portants, à l’exposition de celles d’On ne badine pas avec l’amour, fournies avec des poupées de cire grandeur nature. Siegel était spécialisé dans le matériel pour magasins, et venait de s’allier à Stockman, spécialisé dans les mannequins. On peut s’étonner que le Musée Galliera manque de mannequins, mais on doit rappeler que c’était alors un musée généraliste des arts décoratifs. Il avait certes exposé des arts textiles (dentelle, broderie, guipure…), mais pas de vêtements. En outre, Le comité d’organisation de l’Exposition de l'art dans le cinéma français avait espéré des mannequins en cire, dont certains étaient extrêmement stylés (ceux de Pierre Jouneau allaient gagner un prix l’année d’après à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels). Déjà, lors de son compte-rendu de l’exposition de la Société d’Histoire du Costume à l’Hôtel de Madrazo en 1920, Henri Clouzot s’extasiait sur la qualité des mannequins de cire tout autant que sur les vêtements. Herbst leur vendit des mannequins en bois… qui s’avérèrent en carton-pâte (ou plus probablement en contreplaqué) !
René Herbst, né le 18 mars 1891, était un architecte-décorateur. Il se forma à l’architecture à Londres en 1908. Il s’installa comme décorateur à Paris en 1919 dans une société appelée “Les établissements René Herbst”. En 1922, il présenta avec Madeleine Vionnet un trompe l'œil de salon d’essayage au Salon d’automne, avec un de ces fameux mannequins-salon d’essayage au Salon d’automne, avec un de ces fameux mannequins-silhouettes.
Plus largement, c’était l’art commercial, avec ses vitrines, ses présentoirs, ses enseignes, qui l’intéressait. Il y plaçait l’espoir de promouvoir l’art moderne auprès du grand public : celui-ci se retrouvait sensibilisé par son décor quotidien, et non dans des lieux réservés aux connaisseurs privilégiés. A noter, détail intéressant, qu’il envisagea l’usage de vidéos pour rendre attrayantes les vitrines : “Il y a certainement beaucoup à faire dans l’étalage par l’emploi d’un cinéma qui fera corps avec l’ensemble de la scène [et apportera] une originalité de plus au décor de la rue.”. L’année d’après, les Galeries Lafayette utilisèrent ses mannequins-silhouettes. Il s’agissait de d’objets en bois contreplaqué, silhouettes à tête et bras amovibles et interchangeables. Une telle stylisation était voulue. Un prospectus publicitaire de 1924 les promouvait ainsi : Le mannequin-silhouette est constitué par une planche découpée [...] les cheveux sont figurés sobrement autour de la tête, celle-ci est amovible et peut être vue de face, de nuque ou de profil. Les bras sont également amovibles.” Un autre soulignait que la cire fondait et que pour cela, le bois valait mieux (ce qui n’empêcha par les établissements Siégel de confier à partir de 1925 la création des fameux vainqueurs de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels à Pierre Jouneau).
Plus tard, dans la revue Parade qu’il créa à destination des étalagistes, il théoriserait : "Le mannequin irréel fait son apparition doucement, il vient à petits pas remplacer les hideuses têtes de cire, imitation parfaite de la nature, mannequins pour le musée Grévin, mais dont la place n’est pas dans nos étalages modernes”.
Henri Clouzot ne garda pas rancune de sa déception : René Herbst participa à de nombreuses expositions du Musée Galliera par la suite, et le conservateur écrivit des articles élogieux à son égard et préfaça certains de ses livres.
Bibliographie
Sources
Livres
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L’Exposition de l’art dans le cinéma français, en 1924 au Musée Galliera, est la première exposition sur le cinéma en tant qu’art total. En effet, elle comprend photographies, scénarios, décors, costumes, intertitres, affiches, architectures de cinéma, articles théoriques… Une large section offre une rétrospective d’appareils de projections et de jouets optiques. Plus surprenamment, un vaste espace se penche sur le cinéma comme moyen d’enseignement cinéma comme moyen d’enseignement, avec à la fois des appareils d’optique et des travaux d’élèves d’écoles d’arts appliqués obtenus après observation de films. A côté de l’exposition, elle offre conférences et projections. Inaugurée le 22 mai, elle dure jusqu’au mois d’octobre. Son catalogue d'exposition est intéressant aussi, car il est d'une richesse novatrice, avec des textes théoriques, des publicités et des reproductions d’œuvres.
L’Exposition de l’art dans le cinéma français est à l’initiative d’Henri Clouzot. Il a été conservateur de la bibliothèque Forney entre 1908 et 1920, spécialisée dans les arts appliqués, où il a collecté scénarios et extraits de films. Il considère aussi le cinéma comme un moyen de promotion de ces branches industrielles et de leur enseignement. Devenu directeur de Galliera en 1920, il a commencé à écrire des articles pour promouvoir l’idée d’une cinémathèque. Ils sont un certain nombre à espérer cela, et Clouzot demande conseil à Robert Mallet-Stevens, Léon Moussinac, Michel Coissac ou encore Grimoin-Sanson. Ils l’espèrent comme un tremplin vers un lieu plus durable, et comme une espèce de répétition pour un pavillon à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925.
Prochaine étape de notre voyage : Henri Clouzot, directeur du musée Galliera!
Pour en savoir plus
Même si La nuit du carrefour est un film inabouti, il contient nombre d'éléments incontournables pour qui s'intéresse au réalisme noir :
Simenon a souscrit au projet, c'est sa première adaptation cinématographique. Or, l'on sait à quel point justement l '"atmosphère" est inséparable de son univers et de sa conception du crime.
C'est pour cela que le film est incontounable.
Des expériences de cinéma
Jean Renoir a, pour reconstituer l' "atmosphère simenonnienne" (ainsi qu'il le déclare dans ses Entretiens et propos), choisi un carrefour dans le bourg d'Avrainville, dans la campagne parisienne. Les maisons qui le bordent sont idéalement désolées et laides, l'une d'elles comprend un garage. Il y a établi sa troupe qu'il fait tourner dans des décors et des conditions réelles, les faisant dormir à la dure et les réveillant la nuit. Ce sont ces décors réels, ce son réel, qu'il filme, cherchant à les retranscrire au plus près plutôt que de les reconstituer en studio et en post-production.
Et il veut que les acteurs éprouvent le même malheur poisseux que les personnages de Simenon.
Les acteurs cherchent le phrasé de leurs personnages drogués. Cela donne un jeu étrange. Leur phrasé est vague, suspendu, avec parfois de longs silences déroutants. Cela ne sonne pas juste...mais après tout, la représentation des drogués ou des psychotiques de nos jours n'est pas plus réaliste, c'est juste une nouvelle représentation...Mais on perd le fil de leurs conversations, qui atteignent un absurde à la Beckett.
C'est aussi par l'image que Jean Renoir tente de reconstituer l'atmosphère simenonienne. Elle est grise, elle est noire, elle est nocturne, elle est brumeuse. Il y a quelques magnifiques images de brouillards. La manière de filmer la course-poursuite est audacieuse. Le réalisateur a tenté de reconstituer la sensation et la réalité de la course-poursuite. Mais elle n'est pas forcément réussie. La photographie est tellement sombre qu'on n'y voit rien. Et l'image de la poursuite est trop chaotique.
C'est aussi la réalité du garage qu'il a tenté d'exprimer. Les acteurs s'y déplacent et y parlent comme le feraient les personnages naturellement, sans considération pour les commodités de la prise de vue et de la prise de son. Le protagoniste Maigret évolue en fond de champ, et tout un fatras en avant-plan distrait de son action. On l'entend mal, il y a des bruits parasites. Là aussi, une expérimentation osée, mais au détriment de la qualité technique (le matériel aujourd'hui aurait permis d'allier les deux).
Un travail bâclé
Bref, Jean Renoir a osé beaucoup de choses. Mais le travail est inachevé. Je pensais d'abord que c'était parce qu'il était encore inexpérimenté. Mais non : il tournait depuis 1924, et a sorti La Chienne et Boudu sauvé des eaux quasiment en même temps. D'ailleurs, quand on voit la date de ces films, on comprend. En réalité, il a couru trois lièvres à la fois, et alors qu'il a traité sérieusement les deux autres films, il a fait celui-ci une oeuvre bâclée, entre copains. Le tournage a été express. Les acteurs ne répétaient pas assez, et Pierre Renoir arrivait même ivre sur le plateau. L'intrigue est incohérente. Des bobines ont été perdues, la rendant encore plus incohérente. C'est bien dommage, car nombre d'éléments auraient pu servir de modèles à de futurs réalisateurs de films noirs.