Atmosphère, psychologie, déterminisme - Partie 2
Les assertions des critiques au sujet d’un effet de l’atmosphère sur la psychologie humaine peuvent sembler curieuses (mais après tout, pourquoi pas, il y a bien eu nombre de films dont le ressort psychologique est le complexe d’Oedipe...). Pourtant, elles étaient dans l’air du temps.
Des psychiatres comme Ludwig Binswanger, Erwin Straus ou encore Eugène Minkowski ont même théorisé "l'atmosphère" dans les années 20. Ils voulaient créer une psychologie intégrative, qui plaçait le soin des troubles mentaux dans une recherche plus large sur le sens de la vie, et qui associait psychique et somatique, corps humain et environnement. Ils s’appuyaient pour cela à la fois sur la philosophie phénoménologique héritée de Kierkegaard et la psychanalyse freudienne. Pour tous, il existait un espace sensitif constitué d’ atmosphères qui enveloppent et de sentiments qui traversent l'être humain. Un bon rapport au monde garantissait un esprit sain, et même une grande acuité à celui-ci était le socle de l'intuition. Mais un rapport trop proche ou trop distant provoquait la psychose. C'est bien évidemment ce dernier aspect, riche en promesse de personnages tourmentés, qui nous est cher.
Pour Minkowski, la psychose était alors un mode de réaction à l’extérieur. Il existait deux excès pathologiques opposés : la syntonie et la schizoïdie. La première, qui était la trop grande adhésion aux changements des éléments extérieurs, provoquait le trouble maniaco-dépressif, tandis que la seconde, qui était une indifférence, provoquait la schizophrénie.
Pour Binswanger, être trop proche de l’atmosphère du monde, sans possibilité de mise à distance, de réflexion dessus et d’action, pouvait rendre fou. Il parlait d’ “atmosphérisation du monde”, avec un risque de sombrer dans un délire où tout devient menaçant. Pour lui, le trouble bipolaire était plutôt une indifférence au contexte, avec des sautes d’humeur détachées de l'extérieur.
Nous verrons dans un prochain article à quel point les créateurs d’un “film d’atmosphère” adhéraient à ces thèses (je parle de réalisateurs au sens large, c’est-à-dire réalisateurs, scénaristes, mais aussi auteurs d’oeuvres adaptées).
Pour écrire cet article, je me suis basée sur "Petite archéologie de la notion d'ambiance" de Jean-Pierre Thibaud, paru dans la revue Communications n°90.